Cet essai — “There’s No Beginning and There Is No End: Mariah Carey and the Refusal of Time” — a été d’abord été publié sur e-flux Journal #138 en Septembre 2023.

* “Il n’y a ni début, ni fin” (“Fantasy”, 1995)

Mariah Carey incarne son stalker, entourée par des reproductions de sa propre image, dans le clip de “Obsessed”, 2009.


“Je refuse de tenir compte du temps.” Par ces mots énigmatiques, Mariah Carey introduit ses mémoires The Meaning of Mariah Carey (La Signification de Mariah Carey), publiées en 2020. “C’est une perte de temps d’être obnubilé·e par le temps,” déclare l’insaisissable chanteuse. “La vie m’a permis de trouver ma propre façon d’évoluer dans ce monde. Pourquoi gâcherais-je ce voyage en fixant l’heure et le décompte des années qui passent ?” 1 1 Mariah Carey et Michaela Angela Davis, préface de The Meaning of Mariah Carey (Andy Cohen Books, 2020). Plutôt que de compter les années et minutes, elle préfère vivre sa vie “d’un moment à un autre”. En l’occurence, elle affectionne particulièrement les moments. Regardez la vidéo “Mariah Carey Needs a Moment” (Mariah Carey a besoin d’un moment) sur Youtube ; un montage de 90 secondes ultra-populaire composé d’extraits de ses publicités détaillées sur la chaîne Home Shopping Network, dans lesquelles elle vend du parfum, des vêtements et des bijoux tout en débordant d’enthousiasme à l’idée de passer un “moment diamant”, un “moment rétro”, un “moment bandana”, un “moment de génie”, un “moment convertible”, un “moment parfumé”, un “moment près-du-corps”, un “moment de transition vers l’été”, un “moment de soirée total”, un “moment de remix mignon et drôle”, et ainsi de suite. 2 2 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=ka_b9sB1GmA&ab

Son amour pour les moments a inspiré de nombreux fans, comme Adam Farah-Saad (ou free.yard 3 3 https://www.freeyard.net/ ), artiste né·e et basé·e à Londres – ainsi qu’un Lamb dévoué – dont le travail est souvent imprégné de références à Mariah Carey, à son langage, ses paroles et son iconographie. – Ses fans les plus fervents se surnomment les “Lambs” (les Agneaux) ; et ensemble nous formons la “Lambily” (Famille d’Agneaux – lamb + family). – Par le biais de formats vidéo, d’installations et de performances, Farah-Saad produit des œuvres qui combinent du poppers ou du microdosing, ses amis, des technologies obsolètes telles que les iPods et les CDs, des carillons, ses propres souvenirs et peines de cœur, des lentilles fish-eye, du cruising, du lipsync, et des condiments gastronomiques. Iel décrit la manière dont Mariah l’inspire en tant qu’artiste comme “une volonté d’être vraiment sincère et poétique dans ma pratique sans même craindre d’être un peu dans l’excès.” 4 4 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=AKeLV3SrUnM L’ouverture de son exposition en solo au Camden Art Centre en 2021 présentait une sélection de “paroxysmes de momentation” de son existence. Le terme “momentation”, comme iel l’explique, fait référence à “une occupation prononcée de l’éphémère – influencée par les théorisations queer et désidentificatrices que Mariah Carey offre du MOMENT.” 5 5 Voir → https://www.southlondongallery.org/events/screening-liz-johnson-artur-deborah-findlater-josiane-pozi/

La racine du mot “moment” découle du latin “momentum” qui signifie “mouvement, déplacement, altération, changement”. C’est un mot changeant : “dans un moment” signifie très bientôt, être “du moment” c’est être très commun, “profiter du moment (présent)” c’est vivre sans se soucier ni du passé, ni du futur. Les moments sont souvent des intensités temporelles qui se détachent du temps qui les entoure ; quand on dit “j’ai besoin d’un moment” ou “je vis un moment fort”, on vocalise une perforation du flot de la réalité et la création d’une poche temporelle hors du temps régulé. Les moments diffèrent grandement des minutes ; ils appuient leur qualité éphémère, inquantifiable, indivisible, et non-cumulative. Ils demeurent brefs mais efficaces ; impossible de les sectionner ou de les additionner de façon normative. Pour Mariah, vivre une vie de moments équivaut à vivre “de Noël en Noël, de cérémonie en cérémonie, d’un moment festif à un autre”, tout en ignorant simplement le reste, et avec un refus continuel de prendre en compte la banalité et la brutalité du temps linéaire, accumulatif et standardisé. Elle écrit : “Le temps est souvent si morne, darling, alors pourquoi choisir de s’y plier ?” 6 6 Carey et Davis, préface de The Meaning of Mariah Carey


A Fun Cute Remix Moment

Son refus de tenir compte du temps est même devenu une des plaisanteries récurrentes de sa présence en ligne. Pour l’annonce de la sortie de l’édition anniversaire étendue de son album de 1997, Butterfly (Papillon), vingt-cinq ans plus tard sur Twitter, Mariah lança : “Pour fêter les 25… minutes… depuis la sortie de mon album préféré, et probablement le plus intime.” 7 7 Mariah Carey (@MariahCarey), Twitter, 14 Septembre, 2022 11:38 https://twitter.com/MariahCarey/status/1570074445225541635 Les années, les minutes – quelle différence, vraiment ? En 2019, la mode du #10yearschallenge déferlait sur les réseaux sociaux : les participants juxtaposaient deux images d’eux-mêmes prises à 10 ans d’intervalle pour les comparer. Quand MC se prit au jeu, elle partagea précisément la même photo d’elle-même – vêtue d’un bikini, sourire aux lèvres, avec un de ses adorables Jack Russell au bras – en double, côte-à-côte. Décrivant la photo comme “prise à un moment avant aujourd’hui”, elle écrivit : “Ce défi des 10 ans ne fait pas sens pour moi, le temps n’est pas quelque chose dont je tiens compte [émoji qui hausse les épaules].” 8 8 Mariah Carey (@MariahCarey), Twitter, 16 Janvier, 2019, 17:03 https://twitter.com/MariahCarey/status/1085658776852586497

Il y a, bien entendu, un bon nombre de choses que Mariah refuse aussi de prendre en compte – l’existence de Jennifer Lopez, par exemple. La carrière de J-Lo fut lancée depuis plus de vingt ans maintenant grâce à un titre contenant un échantillon musical qui devait figurer sur le tout nouveau single de Mariah (un acte de sabotage intentionnel fomenté par son vindicatif ex-mari, le producteur de disques Tommy Mottola). La mention de J-Lo à Mariah génère toujours le même “I don’t know her” (“Je ne la connais pas”). De la même manière, quand Eminen déclara publiquement être sorti avec MC, elle rebondit avec son incroyable single “Obsessed” (“Obsédé”, 2009), dans lequel elle chante “je ne sais même pas qui tu es”. Interviewée à propos de sa querelle avec Nicki Minaj, pour savoir si celle-ci faisait référence à Mariah dans ses paroles, MC répondit : “Aucune idée, je ne savais même pas qu’elle chantait.” 9 9 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=utyI5rEK818 Bien que ses mémoires offrent un aperçu détaillé de certains aspects de sa vie privée, d’autres souffrent d’omissions notables, y compris son ex-fiancé James Packer (qu’elle aurait attaqué en justice pour “frais de désagrément” à la hauteur de plusieurs millions après l’annulation de leurs fiançailles). Ce refus de reconnaissance est l’ultime raillerie, l’ultime shade qu’elle reproduit face au temps. Le temps ?, réplique-t-elle, Connais pas.

Mariah n’a jamais montré d’intérêt particulier pour les tendances à court-terme de la mode, et, contrairement aux autres Pop Stars majeures, sa longue carrière n’a pas été ponctuée par une série de transformations caméléonesques qui auraient marqué leur époque. Regardez son apparition légendaire dans l’épisode de MTV Cribs en 2002 et remarquez, quand elle parcourt la totalité de son dressing (qui occupe une aile entière de son somptueux appartement-terrasse de Manhattan), que ses vêtements pourraient appartenir à n’importe quel moment de sa carrière, des années 90 à aujourd’hui. En dévoilant sa collection de chaussures, elle explique : “le modèle que je préfère serait une paire de talons aiguilles, et ma marque favorite toutes celles qui en produisent régulièrement.” 10 10 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=5ng4d6IhsFE Mariah préserve la cohérence de son propre style. Quelques-uns de ses looks sont rattachés à des moments historiques précis – comme la paire de jeans découpée à la taille emblématique du début des années 2000 dans la vidéo “Heartbreaker” (“Brise-cœur”, 1999) – mais, en général, son image demeure remarquablement cohésive : de hauts talons aiguilles ; cette longue chevelure qui vole au vent ; ces jambes interminables ; un décolleté plongeant ; quantité de scintillements et paillettes.

Elle évoque dans ses mémoires que l’origine de son aura caractéristique de glamour ultra-féminin fut inspirée par ses oncles homosexuels – qu’elle désigne comme ses guncles (gay uncles) – Burt et Myron. “Burt était instituteur et photographe, et Myron se définissait comme ‘une femme au foyer’, écrit-elle. Myron était éblouissant. Sa barbe toujours parfaitement taillée et ses cheveux coiffés pour tomber en cascades, qu’il enduisait ensuite de laque chatoyante.” Ça vous rappelle quelqu’un ? Les guncles en question avait un chien appelé Sparkle (Scintillement), et Burt organisait des séances photos avec la jeune Mariah, qui adorait prendre des poses exagérées devant l’objectif. “Il comprenait et soutenait de tout son cœur mon penchant pour l’excessivité” se rappelle-t-elle. 11 11 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 19.

Cette “propension à l’excès” inscrit Mariah dans la lignée du High Camp : une sensibilité esthétique queer qui se délecte d’exagération et d’un fabuleux détachement. Au cours des années, elle a progressivement adopté son statut d’icône gay. Pour son apparition en tant que tête d’affiche de la Marche des Fiertés de Los Angeles de l’été 2023, elle lâche tout : une troupe de danseurs aux muscles saillants (toujours), des arcs-en-ciel (bien sûr), des paillettes (évidemment), un cheval ailé gonflable démesuré (Pégase version gay), une vidéo de conversation Grindr diffusée sur écran géant (avec “pourquoi je t’obsède à ce point ?” : “ why you so obsessed with me ? ”), et une énorme couronne scintillante (qu’elle ne pouvait pas maintenir sur sa tête, et souhaitait briser pour la jeter à la foule, comme Lindsay Lohan dans Mean Girls, mais cette fois “pour toutes les queens du pays”). J’étais là (morte !), à côté d’un groupe de queens qui portaient toutes des débardeurs estampillés à la main de son “I don’t know her”. Je suppose qu’il y a quelque chose de très queer dans le refus d’admettre l’emprise de ce qui est clairement flagrant. (Patriarchie cis-hétéro implacable et dévorante ? Jamais entendu parler.) Le monde affirme “C’est ça la réalité, c’est ça le désir, c’est ça la vie”, et les queers, contre toute attente, rétorquent : “En fait, il y a bien plus que ça.”

Mariah Carey photographiée par David Lachapelle au dos de son album Rainbow, 1999.



Dans les années 60, bien avant la naissance de MC, Susan Sontag soulignait que “beaucoup des objets prisés par le goût Camp sont dépassés, obsolètes, démodés.” 12 12 Susan Sontag, “Notes on ‘Camp”, Against Interpretation and Other Essays (Noonday Press, 1966), 285. (Sontag, dépeinte par Terry Castle comme une “diva intellectuelle”, a aussi eu son propre moment de “I don’t know her” en 1993 lorsqu’elle déclara n’avoir jamais entendu parler de Camille Paglia. 13 13 Terry Castle, “Desperately Voirking Susan,” London Review of Books 27, no. 6 (March 17, 2005) → https://www.lrb.co.uk/the-paper/v27/n06/terry-castle/desperately-seeking-susan; GBH Archives, “Camille Paglia on Susan Sontag 1993,” vidéo YouTube, 1er Juillet, 2011 ) Le propre de l’esthétique Camp réside souvent dans son côté “décalé”. Selon Sontag, une des raisons qui explique cet aspect est que “le processus de vieillissement et de détérioration produit le détachement nécessaire”. 14 14 Sontag, “Notes on ‘Camp,’” 285. Pensez à l’importance du glamour des débuts d’Hollywood pour le Voguing et la culture Ballroom des communautés Noires et Latinx américaines, dans lesquelles une imagerie et des gestes d’un autre temps dépassent les différences d’origine ethnique, de genre ou de classe sociale, ainsi que les frontières chronologiques, pour être réappropriés au présent à travers l’essence intemporelle du Camp – son glamour et son extravagance. Rappelez-vous que le mot “glamour” emprunte sa racine au terme écossais “gramarye”, qui convoque illusion, enchantement, sorcellerie, et sortilèges. Dans le cas de Mariah, le refus de tenir compte du temps se mue en un geste de diva par excellence, qui permet à son image de traverser et échapper à l’ordre chronologique, pour lui assurer une incandescence éternelle sans jamais tout à fait s’aligner sur les pulsations du zeitgeist – avec un aspect toujours légèrement anachronique.

Pareilles à son image, qui voyage à travers le temps et refuse d’être cantonnée à une progression historique ordinaire, les chansons de MC se comportent aussi comme des entités transtemporelles, défiant toute linéarité. En 2018, ses Agneaux lancèrent la campagne #justiceforglitter (“justice pour Glitter”) sur les réseaux sociaux, afin de tenter de ressusciter et faire “justice” à l’album qui avait, dix-sept ans auparavant, marqué le plus gros flop de sa carrière. Ce fut une réussite qui permit à Glitter (“Paillette”) d’atteindre la première place – pour la première fois – en l’écoutant en boucle sur iTunes. Peu de temps après l’avènement tardif de Glitter, Mariah devint la première artiste de l’histoire à figurer en tête du classement du Billboard Hot 100 sur quatre décennies distinctes, grâce à “All I Want for Christmas is You” (“Tout ce que je veux pour Noël, c’est toi”), dont la popularité paraît même croître chaque hiver. Dans ses mémoires, elle écrit à propos du titre de 1994 qu’il accéda au top du classement de la fin 2019 puis ensuite à celui du début de 2020, lui accordant sa quatrième décennie en première position. (“Mais, d’ailleurs,” demande-t-elle, “Qu’est-ce qu’une décennie exactement ?”) 15 15 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 335.

À propos de Noël, l’attachement caractéristique de MC pour ces festivités chrétiennes est aussi au diapason de son refus de tenir compte de la progression standardisée du temps. Lors d’une apparition sur la chaîne YouTube de son amie Naomi Campbell pour célébrer la publication de The Meaning of Mariah Carey, Campbell lance la conversation avec son habituelle question “Où es-tu née et où as-tu grandi ?”. Mariah répond à cette question générique et explique, entre deux pouffements de rire, “Tout comme le Père Noël et la Fée des Dents, je ne suis jamais née – et pourtant me voici !” 16 16 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=nj1qWbHJCWw Plutôt que de raconter quoi que ce soit sur son enfance, elle poursuit en décrivant son amour de Noël et des “moments festifs”. Tandis que les anniversaires restent cumulatifs, Noël – pour Mariah Carey en tout cas – demeure hors du temps : il ne prend pas en compte le passage des années.

Quel âge a-t-elle, d’ailleurs ? Une question sujette à controverse, à laquelle un podcast affilié à sa Lambily a été entièrement dédié 17 17 “Mariah Carey Eternally 12: The Conspiracy,” April 15, 2021, in The Obsessed Podcast, 41:32 → https://podcasters.spotify.com/pod/show/theobsessedpodcast/episodes/Mariah-Carey-Eternally-12-The-Conspiracy-eutujl. . Elle se rappelle, dans ses mémoires, fondre en larmes lors de son dix-huitième anniversaire parce qu’elle n’avait toujours pas décroché de contrat avec une maison de disques, et qu’elle sentait que sa vie ne pourrait pas commencer tant qu’elle n’en aurait pas signé. Comme le commente un utilisateur avisé de Reddit sur un forum de discussion à propos de son âge : “Elle est née le 12 juin 1990.” 18 18 Voir → https://www.reddit.com/r/popheads/comments/lyrffj/mariahs_true_age_is_finally_proven/?rdt=64549 C’est-à-dire à la date du lancement de son tout premier album Mariah Carey qui engendra sa célébrité mondiale. Lors de sa participation au Carpool Karaoke en 2015, elle déclare : “On fêtera mon dix-huitième anniversaire avec mes dix-huit ‘Numéro 1’ au classement.” 19 19 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=z2iwQoKD6mg (“All I Want for Christmas” est devenu Numéro 1 depuis : elle aurait donc maintenant dix-neuf ans.) Elle est également connue pour se décrire comme ayant “éternellement 12 ans” et a célébré sa “date anniversaire” (nuance) avec un gâteau décoré de douze bougies. 20 20 Mariah Carey (@mariahcarey), photo Instagram, March 28, 2020 → https://www.instagram.com/p/B-So5Uvpq_7/?img_index=1.

Adam Farah-Saad, EMOTIONS [1991], 2022, tour de rangement DVD, impression Type-C, boîtes à DVD.


Le refus de reconnaître son propre âge est, entre autres, un rejet de la réalité du vieillissement – sans doute nourri par la pression patriarcale de l’âgisme genré – mais cela ne reflète pour autant qu’une dimension partielle de cette histoire. Quand Frida Kahlo décida de modifier sa date de naissance de 1907 à 1910, elle se rajeunit d’abord de trois ans mais, par la même occasion, elle fit aussi coïncider son origine et le début de la Révolution Mexicaine, à travers une reprogrammation délibérée du temps qui reflétait son engagement envers les politiques anti-impérialistes et anti-coloniales. Dans le cas de Mariah, le fait que son apparence paraisse beaucoup plus jeune que son âge réel (une possibilité uniquement offerte aux plus fortunés) peut être compris à la fois comme le produit et la perpétuation d’une culture obsédée par la jeunesse qui assimile les femme plus âgées à l’indésirabilité, la monstruosité, l’obsolescence, et l’invisibilité. Pourtant, en parallèle, la relation de Mariah au temps recèle des aspects encore plus singuliers. En toute justice, elle aurait dû être incluse dans le projet de l’artiste William Kentridge, The Refusal of Time (Le Rejet du Temps, 2012), qui se focalise sur les multiples contextes historiques qui ont rejeté et résisté à l’imposition du temps dominant et normatif.

Un autre marqueur de la distanciation temporelle de MC se retrouve dans sa haine apparente des journées. Dans l’épisode de MTV Cribs qui lui est consacré, elle plaisante (même si le doute s’installe ?) à propos des poissons de son aquarium, “j’ai dû les pousser à devenir nocturnes parce que nous avions des agendas complètement opposés” 21 21 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=5ng4d6IhsFE . Elle souffre de problèmes de sommeil depuis de nombreuses années, et a souvent vécu en désynchronisation avec le monde diurne. Au fil du temps, elle a appris à apprécier l’esthétique de la nuit (précisément associée, après tout, au temps des rêves et du glamour). Dans une vidéo enregistrée pour la série “Life in Looks” (“une vie vue à travers des looks”) du magazine Vogue, elle réagit à des photos prises à différents moments de sa longue carrière, haïssant celles où elle apparaît à la lumière du jour. “C’est pendant la journée ça, je devrais être en train de dormir, je n’ai pas le temps pour ce genre de truc diurne, dit-elle. On ne devrait organiser que des événements en soirée.” 22 22 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=dGjwkmx9K6k

Le net avantage des événements nocturnes est la possibilité du contrôle de l’éclairage. La lumière du jour provient d’une source externe, dont le déroulement et l’intensité restent hors de notre contrôle. Mariah veut sa “victoire sur le soleil” (pour emprunter le titre d’un opéra futuriste russe de 1913) ; elle veut contrôler son propre éclairage et, ainsi, produire son propre système temporel. Hors de question de se plier aux diktats externes de la réalité par défaut ! MC propose une vie de négationnisme réparateur ; plutôt que d’être affectée par la pesanteur fastidieuse de la réalité, elle choisit de flotter au dessus – comme un papillon, cette créature aérienne évanescente qui vole et se métamorphose, et qui accompagne son image depuis des décennies.


I’m Ventilation
 23 23 “Je suis la ventilation” (“Obsessed”, 2009)

Pour moi, Mariah a toujours été étrangement assimilée à l’air et au vent. Son prénom est un hommage à la chanson “They Call the Wind Maria” (“Ils Nomment le Vent Maria”), de la comédie musicale Paint Your Wagon (La Kermesse de l’Ouest, 1951). (Encore un autre joyau à sa couronne d’icône gay : porter le nom de la chanson titre d’un spectacle.) Dans celle-ci, le vent est personnifié comme une entité appelée Maria (prononcé Mariah) dont le “souffle déplace les étoiles et propulse les nuages”. La Crique Maria (Maria Creek) en Antarctique a aussi reçu la même appellation en raison des vents violents qui la traversent. Le titre de Jazz de Mariah “The Wind” (“Le Vent”) parle de rêves perdus et de personnes aimées qui “s’évanouissent seulement au gré du vent” ; le vent y incarne une douloureuse allusion à une perte irrémédiable. Néanmoins, le vent est aussi connecté à un idéal de détachement qui se traduit dans la personnalité étudiée qu’elle renvoie, à travers ses “I don’t know her” et son insouciante légèreté typique du High Camp.

Une brise plus littérale a aussi participé à la construction de l’esthétique de Mariah ; elle a même fait installer une machine à vent lors de son apparition sur The Daily Show pendant les confinements en 2020, afin que ses cheveux puissent doucement ondoyer durant toute l’interview. Elle décrit dans ses mémoires son obsession continuelle pour les cheveux au vent, “comme le prouvent les ventilateurs employés dans presque toutes mes séances photo”. Elle se rappelle être fascinée, enfant, par les publicités pour shampoing et l’image d’une “chevelure magnifique, gorgée de soleil, qui flotte au ralenti, portée par la brise, en courant pieds nus dans des champs de fleurs”. Elle était jadis persuadée que le shampoing en question pouvait lui octroyer “cette chevelure céleste, soufflée par des rafales d’ailes angéliques”. Cependant, à la suite de cinq-cents heures de formation en école de beauté (qu’elle intégra après le lycée), elle arriva à la conclusion que le shampoing seul ne suffirait jamais. “Une chevelure naturellement fluide requiert beaucoup d’efforts, écrit-elle. Des professionnels, des produits, et une vraie production, darling – une myriade d’après-shampoings, de diffuseurs, de coupes précises, de peignes spéciaux, de pinces, de caméras, et, bien entendu, de machines à vent.” 24 24 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 76–77.

L’historien de l’art et théoricien culturel allemand Aby Warburg se serait sûrement intéressé aux machines à vent de MC. Dans sa dissertation de 1891, il observe les tableaux Primavera (c. 1477–82) et La Naissance de Vénus (c. 1484–86) de Sandro Boticelli, et étudie précisément “la brise imaginaire” qui crée ces cheveux ondoyants et ces tissus flottants qui “semblent onduler librement sans cause apparente”. 25 25 Citation de Georges Didi-Huberman dans “The Imaginary Breeze: Remarks on the Air of the Quattrocento,” Journal of Visual Culture 2 no. 3 (2003): 277. Le philosophe et historien George Didi-Huberman raconte comment Warburg déplace son point focal “de la beauté immobile de Vénus aux contours frémissants de son corps – sa chevelure, ses draperies, ses bouffées d’air”, tout en développant sa théorie des Nachleben, soit les “vies posthumes” des images. 26 26 Didi-Huberman, “The Imaginary Breeze,” 277. À contre-courant des méthodologies d’histoire de l’art de son temps, la notion de Nachleben de Warburg lui permettait de concevoir les images comme les manifestations d’énergies en mouvement – de façon irrationnelle – à travers le temps, en opposition à des arrangements séquentiels de causalité.

La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli [détail], c. 1484-1486, Uffizi Gallery, Florence. License : Domaine publique.

Mariah Carey, couverture de l’album Butterfly, version internationale, détail, 1997.


Comme Didi-Huberman le formule, le vent “affecte tout ce qu’il touche ; il fait frémir, remuer, bouger et convulser”, et “le passage de l’air émet aussi un frisson à travers le temps”. 27 27 Didi-Huberman, “The Imaginary Breeze,” 277. C’est pour cela que Warburg était si attentif aux zones d’instabilité et d’envol des peintures de Botticelli ; il voulait que les images soient libérées de la stricte linéarité de l’historicisme post-Lumières. Bouleversant les prérequis de la périodisation, il observe la Vénus de Boticelli comme une éruption exubérante et illogique d’antiquité païenne dans la chrétienté du 14ème siècle, et au-delà. Selon Didi-Huberman, la silhouette dans le vent “échappe à la gravité et à la condition terrestre ; elle devient un écho des anciens dieux, une créature éthérée de rêves, de l’au-delà, une revenante : l’incarnation des Nachleben.” 28 28 Didi-Huberman, “The Imaginary Breeze,” 286. Avec ces mêmes mots, il pourrait également décrire Mariah Carey – “créature éthérée”, au détachement résolu, qui “échappe à la gravité et à la condition terrestre” en se glissant d’une époque à une autre et qui refuse au temps toute reconnaissance.


Intoxicated; Flying High
 29 29 Ivresse, envol, euphorie (“Emotions”, 1991)

L’apparente légèreté qui entoure l’image de MC peut aussi être comprise comme l’incarnation de sa qualité la plus remarquable et extraordinaire : sa voix. Lorsqu’elle se manifeste, entourée de frémissements capillaires et ondulations textiles, elle paraît être la source du vent qui l’enveloppe (comme quand elle chante “Obsessed”, narguant Eminem, qu’elle campe aussi dans le même clip – “I’m ventilation”). Tout comme ses cheveux, sa voix prend son envol, multi-directionnelle, et emplie d’air. Et tout comme ses chansons traversent le temps (reproduisant les Nachleben de Warburg en prenant la tête de classements hors de leur contexte historique, des décennies après leur sortie), sa voix est connue pour sa longévité, son agilité et sa tessiture irréelles. D’un instant à l’autre, des murmures soyeux aux profonds beltings et grondements texturés, sa voix fléchit sans effort à travers une tessiture de cinq octaves impressionnante – parfois manifestement au cœur d’une seule et même syllabe.

Je pense avoir appris le mot “incessamment” à quatorze ans en écoutant “Heartbreaker”, en 1999. Ses paroles regorgent de mots inhabituels pour la musique Pop – comme “animosité”, “conciliant”, “omniprésent”, “trépidation”, “incandescent”, “nonchalant”, “exaltée”, “emblématique”, “dénominateur”, parmi tant d’autres. Mariah adore les mots, mais elle adore aussi s’en jouer. Quand elle chante, les mots se mettent à fonctionner à l’excès, hors d’eux-mêmes. Nous entendons la matérialité des sons par-delà leur fonction représentative. Le langage ne se réduit plus à un moyen de communication ou des fins productives ; il devient aussi une expérience corporelle d’intensité sonore – d’indivisibles moments – où les mots oublient leurs séparations et dépassent leurs associations de sens. C’est ce qu’un écrivain a désigné comme “la relation évasive de Mariah à l’indexicalité”. 30 30 Kristian Vistrup Madsen, “The Charms on Her Bracelet,” The White Review en ligne, Février 2021 → https://www.thewhitereview.org/feature/the-charms-on-her-bracelet/. Elle transforme les mots en vibrations immatérielles, complaisantes et asignifiantes. Elle étire et étend ses syllabes en de voluptueuses et langoureuses occasions – à chaque pulsation, elle éloigne le langage de ses désignations sémantiques.

Le terme spécifique qui s’apparente à cette technique de chant est le “mélisme”. Alors que le chant syllabique se rattache au tempo normal et régulier d’une syllabe, chaque syllabe correspondant à une note, la voix mélismatique annonce “je refuse de tenir compte du temps imposé par les syllabes” – et, à la place, se déplace successivement d’une note à l’autre au sein d’une même syllabe. Le style de chant mélismatique de MC s’est développé à la fois grâce aux influences de la musique gospel Afro-américaine et avec son propre héritage opératique. (Sa mère est une chanteuse d’opéra à la retraite.) On attribue souvent à son tout premier single “Visions of Love” (Visions de l’Amour, 1990) l’introduction du mélisme élaboré dans la Pop grand public. Bien qu’il y ait eu dans la Pop des exemples antérieurs de chant mélismatique, cette technique prit de l’ampleur au cours des années 90, portée par Mariah et Whitney Houston, et demeura une caractéristique déterminante des productions de Mariah durant les décennies qui suivirent.

Tandis que les mots se retrouvent détachés de leurs structures syllabiques, le mélisme marque une propension à l’excessivité qui instille la possibilité d’une compréhension distendue. Malgré l’éventuelle perte de signification indicielle, alors que nous entendons les mots différemment, ceux-ci peuvent commencer à produire des significations alternatives. Dans un essai sur la dépendance, la nourriture, et les avertissements de Theodor Adorno contre “l’écoute culinaire”, l’artiste et théoricienne des esthétiques du handicap Amalle Dublon examine la chanson “Honey” (Miel, 1997, dans laquelle MC déclare d’une voix séduisante, “Oh bébé, j’ai une dépendance”) et la manière dont ses vocalises peuvent nous aider à comprendre le besoin à travers ses entrelacements de plaisir, invention, et satisfaction. Dublon explique :

“À la fin de “Honey”, transmuté par les variations vocales de MC, le mot “honey” évolue via des tournures terriblement sensuelles pour devenir “I need” (“j’ai besoin [de]”). Enfin, c’est ce que l’on entend. On a tous inventé des paroles de chanson Pop à partir de phonèmes approximatifs, dans une sorte de chant “culinaire” qui déforme et distend le sens des mots, et nécessite une écoute tout aussi affamée. Exactement comme le fait de manger, ici, le plaisir et le besoin se retrouvent entremêlés et inséparables.” 31 31 Amalle Dublon, “Mariah Carey Remix, 25th Anniversary Edition (feat. Theodor Adorno and Lauren Berlant),” Art in America en ligne, Novembre 9, 2022 → https://www.artnews.com/art-in-america/columns/mariah-carey-philosophy-honey-1234646032/

Tout en dépassant le cadre sémantique, le chant mélismatique transforme le temps en un matériau profondément élastique. Écoutez simplement “Fantasy (Sweet Dub Mix)” 32 32 À écouter → https://youtu.be/mRFqEoXMjIU?feature=shared , sublime remix de “Fantasy” (“Imagination”) qui contient des vocalises ré-enregistrées, une collaboration de Mariah avec David Morales en 1995. Durant plus de huit minutes et quatorze secondes, sa voix plane dans les hauteurs et s’éloigne du temps terrestre réglementaire. Soudain, à la moitié du titre, tout rrrraaaaalleeeeenttttiiiit avec un instrumental étendu qui nous plonge dans une dilatation temporelle sans repères, jusqu’à ce que sa voix revienne à la charge et que le temps accélère pour atteindre une apothéose libératrice. Mariah chante comme un ange ivre, et le langage devient para-linguistique : les mots décollent en sifflements et gémissements éthérés, les paroles se fondent en intranscriptibles murmurations orgasmiques, et les syllabes sont étirées jusqu’à devenir des abstractions amorphes, désaxées de la régulation du temps.

Alors que je perdais la raison à l’écoute de ce titre, pédalant autour du Tempelhofer Feld de Berlin, je me suis souvenue d’un autre moment de l’épisode de MTV Cribs où Mariah nous fait visiter son appartement et décide tout à coup de s’étendre sur une chaise longue qu’elle a définitivement fait installer au centre de sa cuisine, parce que, naturellement, “J’ai pour règle de ne jamais m’asseoir droite, dit-elle avec emphase. Je préfère me prélasser.” 33 33 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=5ng4d6IhsFE Parfois, lors de ses concerts en direct, ses danseurs musclés doivent la parader sur une chaise longue (ses capacités chorégraphiques laissent – iconiquement – à désirer). Elle applique donc le même principe à sa voix : elle la détend, l’incline, l’allonge, la fait prendre et définir son propre temps, au mépris de la réalité dictée par les conditions environnantes. Il s’agit ici d’une leçon : allongez-vous dans le parc, pendant la visite de l’appartement, au beau milieu de la cuisine, pendant la performance, allongez la syllabe centrale d’un mot, étirez le milieu d’une chanson, mettez en pratique la lenteur et l’horizontalité, étendez le Moment, délectez-vous des “extensibilités queer”, refusez la marche sans fin du progrès, “cessez d’être le soldat des armées de la droiture”, comme le formule Virginia Woolf. 34 34 Virginia Woolf, “On Being Ill,” The New Criterion, Janvier 1926 → https://thenewcriterion1926.files.wordpress.com/2014/12/woolf-on-being-ill.pdf J’emprunte le terme “extensibilités queer” à Amalle Dublon, “‘A Very Soft or Long Attack and Release’ or Heyyyyy: Queer Extensities,” Queer the Noise, no. 3 (2014) → https://csalateral.org/issue/3/queer-the-noise-heyyyyy-queer-extensities-dublon/

L’artiste, musicien, et fier bègue JJJJJerome Ellis a théorisé le mélisme comme une “investigation sonique de ce qui existe au-delà, à l’intérieur, et en périphérie de la syllabe”. 35 35 JJJJJerome Ellis, “The Clearing: Melismatic Palimpsest,” Prospections, December 3, 2021 → https://wendyssubway.com/publishing/titles/the-clearing Voir aussi JJJJJerome Ellis, The Clearing (Wendy’s Subway, 2021) →; et JJJJJerome Ellis, The Clearing, NNA Tapes, 2021 → https://jjjjjeromeellis.bandcamp.com/album/the-clearing À travers l’étude de la relation entre discours disfluent, identité Noire, et les temporalités non-normatives des chansons mélismatiques (particulièrement dans le gospel), Ellis décrit la manière dont le mélisme peut éventrer une syllabe et créer une clairière, un espace pour le rassemblement des Noirs, en dérobant le temps des ordres dominants de l’universalisme extractif blanc – et en interrompant les temporalités brutales et capacitistes de l’hyperproductivité, l’efficacité, et la rationalisation. Dans son livre d’artiste The Clearing (La Clairière, 2021) et son album du même nom (id.), Ellis médite sur l’interprétation minutieusement mélismatique de “Amazing Grace” par Aretha Franklin à l’église New Temple Missionary Baptist Church de Los Angeles en 1972. 36 36 Voir → https://www.youtube.com/watch?v=CBKwV6oNYvw “Elle choisit volontairement un hymne connu par la majorité du public de l’église et crée des clairières tout au long de celui-ci, écrit Ellis. Elle désarticule le rythme, le rend poreux, afin que tous puissent s’y rassembler. Elle nous rappelle que chaque syllabe est une opportunité pour l’attardement, la dilatation, la divergence, pour l’abondance”. 37 37 Ellis, “The Clearing.”


On ne naît pas, mais plutôt on devient, un papillon

Dans un chapitre de ses mémoires, intitulé avec amour “Divas”, Mariah désigne Aretha Franklin comme son “idole”, “celle qui pour moi était la seule et l’unique”, et “mon Étoile du Nord et mon plus haut standard”. Elle se rappelle, avec fierté, qu’elle fut la seule chanteuse à accompagner Franklin en duo dans l’émission Divas Live en 1998, et que Franklin reprit par la suite plusieurs de ses chansons, y compris “Touch my Body” (“Touche mon Corps”) en tournée (“elle improvisa sur tous les moments sexy”). Franklin est également une référence pour elle parce qu’elle “refusait d’être restreinte ou définie par un genre en particulier”. 38 38 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 303. La Reine de la Soul jonglait aisément entre Gospel, Jazz, R&B, et Pop, à une époque où il était difficile de faire respecter cette flexibilité – et Mariah dut aussi affronter constamment les diktats de l’industrie de la musique pour éviter d’être confinée aux genres de la “ballade Pop” et “musique contemporaine pour adulte” auxquels son label voulait qu’elle se limite pendant les premières années de sa carrière. 

Bien qu’elle ne tienne pas compte de son âge ni de ses anniversaires (“Je ne suis jamais née – et pourtant me voici !”), MC reconnaît son signe solaire : elle est Bélier – tout comme Aretha Franklin, Diana Ross, Chaka Khan, et Billie Holiday, souligne-t-elle dans ses mémoires. Et elle fut propulsée sous le feu des projecteurs – fidèle à son signe astrologique, telle un bélier en furie, sans limite ni patience – grâce à son premier album Mariah Carey en 1990. Incluant des chansons qu’elle avait écrites pour une première version réalisée à dix-huit ans, Mariah Carey fut sacré neuf fois Disque de Platine aux États-Unis – inégalé – et se vendit à quinze million d’exemplaires à travers le monde. 

Meme sur l’arrivée de l’album Mariah Carey dans les années 90.


Pendant cette première décennie, Mariah était mariée à Tommy Mottola, alors à la tête de son label, Sony. Elle l’avait rencontré à l’âge de dix-huit ans ; il en avait quarante-neuf. Dans The Meaning of Mariah Carey, elle dépeint sa relation avec lui en termes météorologiques : il était “tel un brouillard”, “dense et étouffant”, “une atmosphère entière”, et “comme l’humidité – inéluctable”. 39 39 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 97. Il la maintenait sous surveillance chez elle et lui interdisait d’en sortir sans sa permission. Elle se rappelle devoir se cacher dans sa collection de chaussures avec son amie et collaboratrice Da Brat (rappeuse de dix-neuf ans et Bélier elle-aussi) pour échapper aux caméras de sécurité sensibles aux mouvements que Mottola avait installées partout, afin de surveiller chacun des ses gestes.

MC avait, par le passé, dénoncé la soif obsessionnelle de contrôle de Mottola en tant que manager et mari. Dans ses mémoires, elle démontre à quel point sa maltraitance était inextricable d’un racisme anti-Noir. “La part Noire de moi provoquait en lui de la confusion, écrit-elle. Dès le moment où il m’embaucha, il essaya d’effacer mon côté ‘urbain’ (traduction : Noir), de s’en défaire… Comme il le faisait aussi avec mon apparence, Tommy affadissait mes chansons pour Sony, pour les rendre plus générales, plus ‘universelles’, plus ambiguës. J’ai toujours senti qu’il voulait me convertir en quelque chose qu’il comprenait – une artiste ‘grand public’ (c’est-à-dire blanche).” 40 40 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 147–48.

Un des domaines qui permettait à Mariah de récupérer plus d’autonomie pour expérimenter avec sa musique – et se réinventer à sa guise – était celui des remix. Plutôt que de se limiter au recyclage du titre original, ses remix étaient souvent des ré-enregistrements complets. Elle écrit à propos de ses remix Dance – “pour les club kids (qui m’ont toujours stimulée et enthousiasmée)” – réalisés avec le Dj/producteur David Morales, qui avait évolué dans la scène queer Noire et Latinx du New York des années 80. Quand elle travaillait sur un remix avec Morales, ils commençaient généralement par enregistrer sa voix à nouveau, et MC chantait le “même” titre dans une nouvelle tonalité, avec un tempo redéfini, une mélodie différente, et des paroles alternatives. “On travaillait souvent tard le soir, quand je parvenais à me dérober un moment, se rappelle-t-elle. David venait au studio, et je lui donnais carte blanche. Je sirotais une ou deux gorgées de vin, et on se laissait porter par l’inspiration – qui nous menait presque toujours à des titres de Dance super énergiques, avec des voix éclatantes, inédites.” 41 41 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 170.

Vers la moitié des années 90, MC contacta aussi Sean “Puff Daddy” Combs, à la tête du label Bad Boy Records, pour collaborer sur un remix de “Fantasy” qu’elle fantasmait. Elle avoua à Puffy qu’elle rêvait que Ol’ Dirty Bastard du Wu-Tang Clan rappe par-dessus. Les responsables de sa propre maison de disque – qu’elle surnomme les “mecs en costumes de cette ‘morgue corporate’ ” – essayèrent de l’en empêcher. “Ils ne comprenaient pas la diversité de mes fans, ni l’impact international du Wu-Tang Clan, écrit-elle.” Elle et Puffy réussirent pourtant à s’en sortir. Sans surprise, son mari raciste (qui, raconte-t-elle, avait craché : “Puffy finira par cirer mes pompes d’ici deux ans”) détesta le rap d’O.D.B. dès la première écoute : “C’est quoi cette merde ?“, beugla-t-il, “J’peux faire la même chose. Barre-toi d’ici avec ce truc.” Mariah avait, au contraire, immédiatement compris la magie de ses strophes (“toutes ses improvisations de dingue me firent rire d’euphorie”) – et le remix de “Fantasy” entra dans l’histoire comme le pionnier d’une toute nouvelle ère de collaborations au genre hybride entre les artistes de la Pop grand public et ceux du Hip-Hop. 42 42 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 161–62.

Quand Mariah sortit son premier album de meilleures ventes, #1’s, en 1998, elle choisit d’inclure le remix de “Fantasy” de Bad Boy Records avec O.D.B au lieu du single original. C’est ça le truc avec “Fantasy”, le remix devient plus iconique que l’original. Cependant, bien entendu, si vous refusez de tenir compte du temps, les distinctions hiérarchiques entre la “première” version originale et la version dérivée “secondaire” n’ont plus d’importance. “Pour que le label soit satisfait, écrit Mariah à propos de cette période, je devais produire plusieurs versions d’un même single, y compris une au tempo plus rapide et plus simple, en gommant toutes improvisations ou ‘inflections urbaines’.” 43 43 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 170. Cette “version” édulcorée était destinée à être “l’originale”, mais il paraît plus pertinent de réévaluer les remix comme la forme première – parce que c’était à travers eux que MC pouvait être elle-même et faire la musique qui lui plaisait – et non les versions “originales” dont elle devait juste se débarrasser afin d’apaiser son label/mari.

De façon perverse, la culture blanche suprémaciste tente souvent d’insister sur l’existence préalable d’un original véritable, essentiel, pur, immaculé, neutre, non-racisé et universel, tandis que le remix est relégué au rang de déviation optionnelle et secondaire, une élaboration additionnelle destinée à un public de sous-catégorie. Pourtant, Mariah approche le Hip-Hop comme une forme artistique de rassemblement non-linéaire et de contamination relationnelle qui abolit la valeur pure, fixe et indivisible de l’original. L’histoire de la culture blanche aux États-Unis est marquée par un violent rejet du mélange, avec sa “one-drop rule” (règle de l’unique goutte de sang) et ses lois contre le métissage qui s’enracinaient dans une peur de la contamination (MC raconte dans ses mémoires que sa mère blanche, originaire du Sud des États-Unis, fut complètement reniée par sa famille après son union avec le père Afro-Américain de Mariah). L’histoire du Hip-Hop, en revanche, est l’histoire du mélange et de tout ce que peuvent générer la combinaison, la friction et la collision de sons différents. Les pratiques du sampling et du remix transforment les chansons en des écologies de références et de relations, dont les sons sont toujours polyphoniques et multi-temporels. Même les plus grandes stars en solo seront toujours accompagnées par d’autres voix ; pour citer le poète, archiviste de Jazz et danseur Harmony Holiday : le Hip-Hop est “une forme d’art basée sur l’amitié”. 44 44 “Fred Moten & Harmony Holiday on the Sounds of Friendship,” Frieze en ligne, 17 Décembre, 2020 → https://www.frieze.com/article/fred-moten-harmony-holiday-sounds-friendship.

Prenons, par exemple, “Genius of Love”. La chanson “Fantasy” utilisait des échantillons à la fois de la mélodie et des paroles (y compris la phrase “There’s no beginning and there is no end”) de ce succès de la Dance par le Tom Tom Club, un groupe de New Wave formé par deux membres des Talking Heads. Mais le titre “original” synthétisait déjà une pluralité de genres, influences, et collaborations. Il fut produit par le producteur jamaïcain Steven Stanley aux studios Compass Point des Bahamas ; Uziah “Sticky” Thompson – qui travaillait avec Grace Jones dans le studio attenant – y ajouta les percussions ; Monte Brown – guitariste du groupe de Funk local T-Connection – proposa une partie rythmique ; et deux producteurs de Reggae et Dub, Sly et Robbie, inclurent des claquements de mains sur les battements de fond. Les paroles comprennent des hommages à de nombreux artistes de Soul, Funk, et Reggae dont Sly et Robbie, Smokey Robinson, Bob Marley et James Brown – et l’extrait qui mentionne “a hippie-the-hip and a hippie-the-hop” fait écho au titre “Rapper’s Delight” (1979) du Sugarhill Gang, un des premiers single de Rap jamais joué à la radio qui introduit le terme Hip-Hop à un public plus large.

D’emblée un produit d’hybridation communautaire, “Genius of Love” (Le Génie de l’Amour) proliféra aussi à travers l’histoire de la musique comme l’un des échantillons les plus populaires du Hip-Hop au cours des années 80 et au-delà. Le titre “Genius Rap” de Dr. Jeckyll & Mr. Hyde sortit en 1981 ; celui de Grandmaster Flash & The Furious Five, “It’s Nasty (Genius of Love)” l’année suivante, pour être ensuite utilisé et réapproprié sous différentes formes par Public Enemy, Ice Cube, Busta Rhymes et Erykah Badu, Warren G, 50 Cent, Snoop Dogg, et d’autres encore, y compris, bien sûr, Mariah Carey et Dirty Ol’ Bastard. La tradition qui en émerge est de reprendre la phrase d’ouverture, “Whatcha gonna do when you get out of jail? I’m gonna have some fun! ” : “Tu vas faire quoi à ta sortie de prison ? Je vais fêter ça !” Quand 2Pac l’interprète, il chante “Tu vas faire quoi quand tu sors de prison ? Je vais acheter un revolver.” Quand c’est au tour de Biz Markie, la réponse devient : “Je vais baiser.” Dans la version iconique de Mariah, par une mise-en-abyme : “Tu vas faire quoi à ta sortie de prison ? Je vais faire un remix.” 

Pour une artiste comme Mariah, qui refuse de prendre le temps en compte, il est tout à fait adéquat que le remix constitue une partie si importante de son approche de la production musicale. Remixer c’est troubler la linéarité ; la disséquer et en réorganiser le contenu ; superposer, courber, et scinder, remanier et rediriger l’ordre des choses. C’est l’une des idées qui compose l’essai cinématographique afrofuturiste de l’artiste John Akomfrah : The Last Angel of History (Le Dernier Ange de l’Histoire, qui sortit en 1995, la même année que “Fantasy”). Le “voleur de données” du film est un pilleur qui voyage à travers le temps pour subtiliser les vestiges des histoires et ruines de la culture Noire afin de forger de nouveaux liens à travers le temps. Dans le film, le critique musical Greg Tate analyse le sampling comme une manière de “fusionner toutes les époques de la musique Noire” et “qui permet de jouer librement avec des références et, par références croisées, d’évoquer toute ces zones sonores et créateur•ices antérieur•es simultanément.” Goldie, compositeur et producteur de Drum & Bass (dont le premier album studio Timeless sortit aussi en 1995), suggère quelque chose de similaire dans The Last Angel of History lorsqu’il remarque que “à cause de la technologie, de la capacité à emprunter à toutes ces périodes différentes, le temps devient hors sujet.


L’Ensemble

Vous savez, armée de répulsif pour insectes, avec la coiffure, le make-up et l’ensemble adéquats, je pourrais m’aventurer dehors… en photo.
— Mariah Carey

En 1997, MC sort son sixième album, Butterfly. C’est le projet le plus Hip-Hop qu’elle ait produit jusqu’alors (qui inclut des collaborations avec Puff Daddy, Q-Tip, Missy Elliott, Trackmasters, des membres de Bone Thugs-N-Harmony, Da Brat, etc), et le premier album sorti après sa rupture tant attendue avec Mottola. Elle mentionne dans ses mémoires que les paroles du titre éponyme – “ouvre tes ailes et prépare-toi à t’envoler, car tu es devenue papillon” – s’inspiraient des mots qu’elle avait imaginé que Mottola prononcerait au moment où elle retrouverait sa liberté. 45 45 Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 180.

Depuis, Mariah joue de façon récurrente avec l’idée de devenir/révéler sa “véritable nature”. Elle brandit le thème de l’auto-émancipation une fois de plus avec son album The Emancipation of Mimi (2005), qui porte un de ses surnoms familiers. Avec Memoirs of an Imperfect Angel (Mémoires d’un Ange Imparfait, 2009), elle livre un album autobiographique et confessionnel ; quant au titre de son album de 2014, Me. I Am Mariah … The Elusive Chanteuse (Moi. Je suis Mariah… la Chanteuse Insaisissable), il réunit la légende d’un autoportrait de son enfance (reproduit au dos de l’album) avec un nouveau surnom qu’elle finit par adopter, déclarant une fois de plus ça, c’est moi. En décidant d’intituler ses mémoires The Meaning of Mariah Carey, elle continue à s’amuser avec la promesse de mettre en scène un dévoilement spectaculaire de son vrai visage.

Tous ces éclats de révélation – et pourtant, le charme de Mariah n’a jamais eu aucun lien avec l’authenticité ou la familiarité. Enfin, soyons honnêtes : elle incarne l’antithèse du terre-à-terre. La cosmologie de Mariah Carey ne convoque que les plus doux fantasmes : c’est un monde d’arcs-en-ciel et de chiots ; de paillettes et gloussements euphoriques ; de papillons et bonbons scintillants ; de rêveries et baignades en talons hauts ; de miel et bains à bulles ; d’échappées en nuisette accompagnées par un lâché de chevaux, cheveux au vent à l’infini. Ses chansons contiennent des émotions (comme le soutiennent le titre et premier single de son second album), mais elles sont continuellement départicularisées et sans attaches avec la réalité. “Je ne sais pas si c’est réel, chante-t-elle dans Emotions, mais c’est ce que je ressens au fond de moi… Tu m’as fait ressentir des émotions.” Avec sa voix qui voltige “plus haut que les hauteurs célestes”, il ne s’agit pas de ressentir quoi que ce soit en particulier, il s’agit des sentiments en tant que tels.

En définitive, il n’y aura pas d’émancipation finale, pas d’ultime émergence de sa chrysalide, pas d’éclaircissement de “la signification de Mariah Carey”, parce que Mariah Carey évolue à l’écart de la société, dans son extravagante et indescriptible multiplicité. La qualité de cette imposante multiplicité, qui ne se laisse ni contenir, ni stabiliser, se ressent à travers ses vocalises mélismatiques. À l’intérieur d’une simple voyelle, elle peut changer de note autant de fois qu’elle change de tenue – ou plutôt, comme elle l’emploie, d’ensemble – dans son épisode de MTV Cribs. Dans “My All” (“Tout de Moi”, 1997), par exemple, elle chante “I-I-I-I-I give my all” (Je donne tout de moi) – invoquant cinq syllabes (ou plus, selon l’occasion) à partir d’une seule syllabe, d’une lettre, du “I ” (je), la première personne du singulier, qui se mue en un ensemble – une pluralité qui déborde d’elle-même. Elle déborde aussi (telle le miel) des contenants de la linéarité imposés au monde entier, dont la logique extractive divise le temps en unités sèches et rationalisées. Sa voix semble savoir qu’il est impossible de refuser de tenir compte du temps, risible même, et donc absolument essentiel pour nous toustes – car ce rejet traduit l’affirmation d’une alternative.

Mariah Carey devient un ensemble dans le clip de “Loverboy” [“Beau gosse”, 2001].



Dans un essai qui retranscrit des décennies d’admiration pour la chanteuse insaisissable, l’écrivaine Kristian Vistrup Madsen s’intéresse à la manière dont Mariah performe une persona plutôt qu’une personnalité – et comment ses capacités virtuoses peuvent être utilisées comme un outil pour dévier les particularités de l’identité individuelle. “Plutôt qu’un témoignage des émotions de Mariah, ou un appel aux nôtres, les paroles à cœur ouvert de “If It’s Over” (“Si c’est la Fin”, 1992), “Without You” (“Sans Toi”, 1993), ou “My All” sont dramatiques parce qu’elles se doivent d’égaler sa voix, écrit Madsen. Ses ballades ne sont jamais vraiment tristes. Elles sont impressionnantes, plutôt qu’expressives, et, en fin de compte, [Mariah] ne nous laisse que peu de choses auxquelles nous identifier.” 46 46 Madsen, “The Charms on her Bracelet.” Il s’agit en réalité d’un aspect qui fut l’objet de plaintes des critiques très tôt dans sa carrière. Par exemple, en 1991, un journaliste du magazine Rolling Stone dans sa critique à deux étoiles d’Emotions déplore que “sa tessiture soit si surhumaine que chaque note excessive érode la crédibilité des paroles qu’elle chante.” 47 47 Rob Tannenbaum, “Emotions,” critique d’album, Rolling Stone, 14 Novembre, 1991 → https://www.rollingstone.com/music/music-album-reviews/emotions-252643/ À cela je répondrais : si vous êtes en quête de crédibilité, Mariah Carey vous décevra sûrement. Mais si vous êtes sensible à son incroyable “penchant pour l’excessivité” et que vous êtes prêt·e à outrepasser le plausible, elle pourrait avoir quelque chose à vous offrir.

Playlist compilée par Adam Farah-Saad pour accompagner l’article originel.


Ce texte a été d’abord présenté comme une courte conférence pour la série d’événements “Public Sewer (Keep your mind in the gutter™)” 48 48 “Égoûts Publics – Gardez votre esprit dans le caniveau™” au Sandberg Institute d’Amsterdam, au cours de laquelle les intervenants avaient l’occasion de se focaliser sur un intérêt de niche qui appartenait au ‘caniveau’ de leur pratique créative. L’auteure souhaite remercier les organisateurs Aidan Wall et Artun Alask Arasli pour leur invitation, ainsi que les membres de l’auditoire qui ont nourri le sujet par leurs questions et réponses utiles. Ses remerciements sont aussi adressés à Amalle Dublon, M. Ty, Elvia Wilk, et Vivian Ziherl qui ont aidé le texte à se développer de différentes manières – et aux participants du Warman School Summer Residency pour avoir partagé des idées et commentaires précieux.

Amelia Groom est autrice, elle produit des écrits sur les pratiques artistiques dont le point focal est souvent le temps ; les flux qui le sous-tendent, le suspendent et le détournent, tout comme les possibilités de canaliser et réorienter ceux-ci. Son livre Beverly Buchanan: Marsh Ruins a été publié par Afterall. Ses essais récents comprennent l’étude de Scheherazade et la “parrhésie oblique” ; la poésie de la boue ; et l’importance des félins dans l’art et l’activisme anti-fasciste de Claude Cahun et Marcel Moore.

Traduction française : emmanuel pierre

  1. Mariah Carey et Michaela Angela Davis, préface de The Meaning of Mariah Carey (Andy Cohen Books, 2020).  []
  2. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=ka_b9sB1GmA&ab  []
  3. https://www.freeyard.net/  []
  4. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=AKeLV3SrUnM  []
  5. Voir → https://www.southlondongallery.org/events/screening-liz-johnson-artur-deborah-findlater-josiane-pozi/  []
  6. Carey et Davis, préface de The Meaning of Mariah Carey  []
  7. Mariah Carey (@MariahCarey), Twitter, 14 Septembre, 2022 11:38 https://twitter.com/MariahCarey/status/1570074445225541635  []
  8. Mariah Carey (@MariahCarey), Twitter, 16 Janvier, 2019, 17:03 https://twitter.com/MariahCarey/status/1085658776852586497  []
  9. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=utyI5rEK818  []
  10. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=5ng4d6IhsFE  []
  11. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 19.  []
  12. Susan Sontag, “Notes on ‘Camp”, Against Interpretation and Other Essays (Noonday Press, 1966), 285.  []
  13. Terry Castle, “Desperately Voirking Susan,” London Review of Books 27, no. 6 (March 17, 2005) → https://www.lrb.co.uk/the-paper/v27/n06/terry-castle/desperately-seeking-susan; GBH Archives, “Camille Paglia on Susan Sontag 1993,” vidéo YouTube, 1er Juillet, 2011  []
  14. Sontag, “Notes on ‘Camp,’” 285.  []
  15. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 335.  []
  16. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=nj1qWbHJCWw  []
  17. “Mariah Carey Eternally 12: The Conspiracy,” April 15, 2021, in The Obsessed Podcast, 41:32 → https://podcasters.spotify.com/pod/show/theobsessedpodcast/episodes/Mariah-Carey-Eternally-12-The-Conspiracy-eutujl.  []
  18. Voir → https://www.reddit.com/r/popheads/comments/lyrffj/mariahs_true_age_is_finally_proven/?rdt=64549  []
  19. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=z2iwQoKD6mg  []
  20. Mariah Carey (@mariahcarey), photo Instagram, March 28, 2020 → https://www.instagram.com/p/B-So5Uvpq_7/?img_index=1.  []
  21. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=5ng4d6IhsFE  []
  22. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=dGjwkmx9K6k  []
  23. “Je suis la ventilation” (“Obsessed”, 2009)  []
  24. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 76–77.  []
  25. Citation de Georges Didi-Huberman dans “The Imaginary Breeze: Remarks on the Air of the Quattrocento,” Journal of Visual Culture 2 no. 3 (2003): 277.  []
  26. Didi-Huberman, “The Imaginary Breeze,” 277.  []
  27. Didi-Huberman, “The Imaginary Breeze,” 277.  []
  28. Didi-Huberman, “The Imaginary Breeze,” 286.  []
  29. Ivresse, envol, euphorie (“Emotions”, 1991)  []
  30. Kristian Vistrup Madsen, “The Charms on Her Bracelet,” The White Review en ligne, Février 2021 → https://www.thewhitereview.org/feature/the-charms-on-her-bracelet/.  []
  31. Amalle Dublon, “Mariah Carey Remix, 25th Anniversary Edition (feat. Theodor Adorno and Lauren Berlant),” Art in America en ligne, Novembre 9, 2022 → https://www.artnews.com/art-in-america/columns/mariah-carey-philosophy-honey-1234646032/  []
  32. À écouter → https://youtu.be/mRFqEoXMjIU?feature=shared  []
  33. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=5ng4d6IhsFE  []
  34. Virginia Woolf, “On Being Ill,” The New Criterion, Janvier 1926 → https://thenewcriterion1926.files.wordpress.com/2014/12/woolf-on-being-ill.pdf J’emprunte le terme “extensibilités queer” à Amalle Dublon, “‘A Very Soft or Long Attack and Release’ or Heyyyyy: Queer Extensities,” Queer the Noise, no. 3 (2014) → https://csalateral.org/issue/3/queer-the-noise-heyyyyy-queer-extensities-dublon/  []
  35. JJJJJerome Ellis, “The Clearing: Melismatic Palimpsest,” Prospections, December 3, 2021 → https://wendyssubway.com/publishing/titles/the-clearing Voir aussi JJJJJerome Ellis, The Clearing (Wendy’s Subway, 2021) →; et JJJJJerome Ellis, The Clearing, NNA Tapes, 2021 → https://jjjjjeromeellis.bandcamp.com/album/the-clearing  []
  36. Voir → https://www.youtube.com/watch?v=CBKwV6oNYvw  []
  37. Ellis, “The Clearing.”  []
  38. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 303.  []
  39. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 97.  []
  40. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 147–48.  []
  41. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 170.  []
  42. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 161–62.  []
  43. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 170.  []
  44. “Fred Moten & Harmony Holiday on the Sounds of Friendship,” Frieze en ligne, 17 Décembre, 2020 → https://www.frieze.com/article/fred-moten-harmony-holiday-sounds-friendship.  []
  45. Carey et Davis, The Meaning of Mariah Carey, 180.  []
  46. Madsen, “The Charms on her Bracelet.”  []
  47. Rob Tannenbaum, “Emotions,” critique d’album, Rolling Stone, 14 Novembre, 1991 → https://www.rollingstone.com/music/music-album-reviews/emotions-252643/  []
  48. “Égoûts Publics – Gardez votre esprit dans le caniveau™”  []